Mai 68, Breskens
Breyell II
Mai 68, en hommage à la disparition accidentelle de l'un de ses employés, l'industriel belge Edward de Beukelaer, baptise son nouveau voilier "Breyell II", ville d'Allemagne où il possède une unité de production où se déroula ce tragique événement.
Breyell II, comme tout nouveau bateau lancé au chantier Maas, est équipé du clinomètre maison gravé à son nom. Personne ne semble y prêter attention car une petite distraction inaperçue à l'époque transforme Breyell en Bryell...
2 avril 2012. Penché sur l'écran de mon PC où s'affiche la photo du clinomètre, Franz Maas qui nous reçoit dans sa maison de Breskens comprend enfin de quel bateau je m'entretiens avec lui depuis plusieurs semaines !
Britton Chance et André Nélis m'auront donc certainement pris pour un hurluberlu jusqu'à la fin de leurs jours...
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Breyell II, plan Britton Chance Jr. n°35
Le plan n°35 aurait été commandé à Britton Chance, jeune architecte en vogue aux States, par un ex-copropriétaire de Tina qui, regrettant d'avoir cédé ses parts à son frère, souhaitait donc armer un bateau encore plus véloce...
Très audacieux, le plan n°35 choisi par l'industriel belge Edward De Beukelaer présente en toute logique des analogies avec celui de Tina. Ses appendices sont toutefois bien plus inclinés et sa quille doit être équipée d'un trimmer lesté de 300 kilos de plomb ! À l'intérieur, du moins sur le papier, le moteur est centré quitte à faire installer un coûteux et énergivore dispositif hydraulique pour entraîner l'hélice, décentrée sur bâbord, rating oblige.
Première problématique
Après son baptême à Breskens, rien ne se passe cependant comme prévu : les contres-performances de Breyell s'accumulent en course.
Elles semblent particulièrement dues à la difficulté de barrer dès que le vent forcît. André Nélis, double médaillé en Finn, futur patron de la voilerie North Belgium et skipper du bateau signale qu'en plus d'être dure, la barre vient buter contre les parois de la baignoire du cockpit. Il suggère de la faire modifier afin qu'elle puisse raser les bancs. Cela ne changera pas grand chose...
La cause vient-elle alors de l'inclinaison du gouvernail ? Il sera finalement redressé, mais plus tard, par le propriétaire suivant qui se chargera de ces travaux apparemment indispensable. Le problème de Breyell était donc bien là, sous la flottaison ?
Oui et non : avant cette opération chirurgicale lourde, l'inclinaison de la mèche n'autorisait avec la barre qu'un angle de 50° ! Idéalement, cet angle doit être de 90°...
Une barre a beau être longue, plus on l'aligne avec l'axe de la mèche du gouvernail et plus son bras de levier diminue. La longueur effective du bras de levier de la barre, longue de 120 cm, n'était d'environ que de 77 cm (schéma).
Ceci expliquant cela...
Des essais au port, barre orientée vers l'arrière et positionnée à 90° par rapport à la mèche de safran, auraient pu valider cette théorie. Ensuite, seule l'installation d'une barre à roue pouvait résoudre "simplement" cette première problématique d'importance.
Cela dit, en redressant le gouvernail et en l'équipant d'un profil Naca compensé, le successeur d'Edward De Beukelaer fera d'une pierre deux coups : il apportera enfin douceur et liberté de mouvements à la barre au plan n°35 de Britton Chance.
Seconde problématique
Pour des raisons techniques évidentes, Frans Maas ne veut pas lester le trimmer et le fait réaliser en CP. Ses 300 kilos de plomb sont transférés plus haut, à la place du réservoir de gasoil dans le retour de galbord de la quille. Celle-ci prenant naissance bien en avant de l'épontille du mât, l'équilibre longitudinal de Breyell s'en trouve modifié. De son côté, l'aileron perd 15 % de sa masse initiale...
NB : en février 1968, tout en maintenant les niveaux de plomb de la quille et du trimmer, Britton Chance avait recommandé de placer au même endroit la même quantité de lest mais sous forme de grenaille.
Jamais 2 sans 3 !
Sur le côté bâbord de l'épontille du mât, donc assez haut, est finalement installé le moteur Saab de 20 CV d'environ 100 kg (sans sa pompe de transmission hydraulique). Ses autres périphériques hydrauliques (133 kilos + supports acier divers) sont, à l'exception du boitier de l'hélice, positionnés au-dessus du niveau des planchers, sur bâbord.
Pour contrebalancer ce déséquilibre latéral, 170 kilos de gueuzes de plomb sont calés sous la moitié avant de la couchette tribord du carré...
Une motorisation peu efficace, encombrante, coûteuse et au final très lourde : plus de 400 kilos !
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Compte tenu des résultats, son armateur déçu se sépare rapidement de son racer-cruiser flambant neuf. Pourtant la voilerie Gastra, son sponsor, l'avait équipé d'un excellent jeu de voiles dont une grand-voile révolutionnaire pourvue d'une longue latte forcée...
Sous She...
Rebaptisé par la suite She, Voodoo et enfin... Bryell, le plan Chance apporte satisfaction à ses propriétaires successifs, sa quille et son safran ayant été modifiés à l'époque de She.
500 kilos de plomb dans l'aile
Mais à quel prix ? Devenu très raide à la toile grâce aux 500 kilos rajoutés dans la quille, Bryell équipé de winchs puissants paraît dès lors condamné à fatiguer rapidement ses jeux de voiles, son gréement, ses équipiers.
Dans le petit temps, il n'est pas un foudre de guerre. À flot il paraît très enfoncé dans ses lignes tandis qu'au sec, le design improvisé du binôme safran/quille lui a fait perdre de sa superbe.
En l'absence d'une réelle concurrence (Tina), il remporte toutefois pas mal d'épreuves du CCMA jusqu'en 2012, année du début de son refit qui va durer 2 bonnes années.